Runes et Société Viking : Genre et Christianisation
Les documents fournissent un aperçu complet de l’histoire et de l’évolution de l’alphabet runique Futhark, soulignant sa transition progressive de l’Ancien Futhark (24 caractères) au Futhark Récent (16 caractères) durant l’Âge des Vikings. Ce système d’écriture, qui trouve son origine dans les alphabets italiques, n’était pas seulement épigraphique, mais était également employé à des fins ésotériques et divinatoires par les peuples germaniques et nordiques. Parallèlement à cette évolution linguistique, une source majeure retrace la christianisation des peuples scandinaves, un processus qui s’étendit sur plusieurs siècles et fut fortement influencé par des motivations politiques pour consolider le pouvoir royal. L’adoption du christianisme, souvent caractérisée par une période de syncrétisme, entraîna l’abandon progressif des runes au profit de l’alphabet latin, bien que les formes runiques aient survécu dans des variantes médiévales et dalécarliennes. Finalement, la présence d’un journal académique spécialisé confirme l’importance continue des études runiques dans la recherche contemporaine.
L’alphabet runique, souvent appelé Futhark, a connu une évolution significative à travers plusieurs périodes en Scandinavie, allant de sa forme ancienne et complexe à des formes simplifiées puis adaptées, avant que son usage ne décline face à l’alphabet latin.
Voici un aperçu de l’évolution du Futhark et des raisons de son déclin d’usage :
I. Évolution du Futhark
L’évolution du Futhark est marquée par une simplification et une adaptation aux changements linguistiques, passant de l’alphabet à 24 runes (Vieux Futhark) à l’alphabet à 16 runes (Futhark récent).
1. Le Vieux Futhark (Ancien Futhark)
Le Vieux Futhark est la forme la plus ancienne de l’alphabet runique, utilisée par les peuples germaniques pour écrire le germanique nord-occidental et le proto-norrois.
• Période et Caractéristiques : Il fut utilisé de la période des Grandes Invasions, allant du IIe siècle au VIIIe siècle. Il comporte 24 runes, généralement regroupées en trois familles (ætt) de huit runes.
• Usage : Le Vieux Futhark était principalement une écriture secrète, réservée à une élite littéraire, comme en témoigne le faible nombre d’inscriptions retrouvées (environ 350). L’écriture était moins bien définie que le Futhark récent.
2. La Transition et le Futhark Récent (Runes Scandinaves)
La transition du Vieux Futhark vers le Futhark récent ne s’est pas faite soudainement, mais fut un processus graduel, se déroulant approximativement entre 650 et 800 après J.-C..
Le Futhark récent (ou runes scandinaves) est la version principalement employée par les Vikings durant l’Âge Viking.
• Période et Caractéristiques : Utilisé du VIIIe siècle au XIe siècle, il s’agit d’une simplification du Vieux Futhark, réduit à seulement 16 runes.
• Paradoxe linguistique : Cette simplification est notable car elle survient au moment où le proto-norrois évolue en vieux norrois, faisant ainsi apparaître de nouveaux phonèmes, ce qui signifie que des sons distincts demeuraient identiques à l’écrit. Le Futhark récent est associé au vieux norrois.
• Usage : Contrairement au Vieux Futhark, le Futhark récent fut particulièrement répandu. Il existe environ 6 000 pierres runiques (monumentales) qui nous sont parvenues avec des inscriptions en Futhark récent, parfois informelles.
• Variantes : Le Futhark récent se présente sous deux formes principales considérées comme fonctionnelles : la version à longues branches (danoise), utilisée pour la gravure sur pierre, et la version à branches courtes (suédoise et norvégienne), servant à écrire des messages plus courants, privés ou officiels, souvent sur du bois. Une autre variante est apparue, les runes de Hälsinge (runes sans hampe), datées entre le Xe et le XIIe siècle, qui sont une simplification des runes suédoises/norvégiennes.
3. Évolutions Post-Viking
Le Futhark a continué d’évoluer au-delà de l’Âge Viking, persistant en marge de la nouvelle écriture dominante:
• Runes médiévales : Utilisées d’environ 1100 à 1500 après J.-C.. Elles ont été développées pour ajouter des runes et des variantes pointées (comme ᛑ pour /d/) afin de rétablir une meilleure correspondance entre une rune et un phonème du vieux norrois. Elles étaient courantes et utilisées aux côtés de l’alphabet latin pendant plusieurs siècles.
• Runes dalécarliennes : Un mélange de runes et de lettres latines qui a été utilisé en Dalécarlie, en Suède, du début du XVIe siècle jusqu’au XXe siècle (jusqu’en 1910).
II. Déclin de l’Usage du Futhark
Le déclin de l’usage runique en faveur d’un autre système d’écriture est principalement lié à un changement sociopolitique et religieux majeur : la christianisation de la Scandinavie.
1. L’impact de la Christianisation
Le changement décisif qui a mené au déclin du Futhark est survenu lorsque la Scandinavie a embrassé le christianisme.
• La christianisation des peuples scandinaves fut un processus progressif et tardif qui s’est achevé vers le XIe siècle.
• Avec la christianisation, l’éclat (prominence) du Futhark a commencé à s’estomper.
• Dès le XIIe siècle, l’alphabet latin prit le dessus.
• L’adoption de la nouvelle foi était contraignante, obligeant les Vikings à abandonner leurs anciennes croyances, que l’Église considérait comme démoniaques.
2. Le contexte de l’écriture
Bien que le rôle exact du runique soit débattu, on observe une évolution de son usage, qui pourrait avoir influencé sa désuétude ou sa relégation :
• Les inscriptions runiques anciennes de l’Âge du Fer (antérieures à l’Âge Viking) faisaient souvent allusion à la magie, contenant des mots comme « protection » ou « chance ».
• Durant l’Âge Viking, les inscriptions sur les petits objets contenaient plus souvent des opinions profanes ou des noms plutôt que d’invoquer la magie (bien qu’il y ait des exceptions). Cela suggère un changement de mentalité concernant l’usage des runes et la capacité de les interpréter, peut-être parce que l’écriture runique était devenue une connaissance commune.
• Il a été suggéré que l’érection des pierres runiques (monumentales, 1000-1100 AD) est la source du déclin des inscriptions runiques sur les artefacts plus petits en comparaison avec les époques précédentes.
3. Persistance et relativisation du déclin
Malgré l’adoption de l’alphabet latin, les runes n’ont pas complètement disparu.
• Le fait que les artefacts runiques médiévaux sont nombreux et ont été préservés dans des couches stratigraphiques urbaines (comme à Lund, ou les 600 inscriptions trouvées sur des bâtons de bois à Bergen) indique que l’usage des runes n’a pas décliné aussi fortement qu’on pourrait le suggérer, mais s’est poursuivi, notamment à des fins quotidiennes.
• La qualité de conservation a aussi pu biaiser la perception du déclin, car les lettres se conservent beaucoup mieux sur des métaux comme l’or que sur des matériaux organiques (comme le bois), moins résistants, ce qui rend difficile l’estimation du nombre réel d’artefacts existants.
En résumé, si le Futhark a évolué d’un système élitiste et complexe (Vieux Futhark) à une écriture simplifiée et largement utilisée (Futhark récent) pour le vieux norrois, son usage en tant que système d’écriture principal a été éclipsé par l’arrivée de l’alphabet latin et de la nouvelle administration religieuse et politique que la Christianisation a introduits en Scandinavie.
L’évolution du Futhark peut être comparée à une application logicielle : l’Elder Futhark (24 runes) était la version initiale, robuste mais peu optimisée, comme un prototype réservé à des experts. L’arrivée du Younger Futhark (16 runes) a été un « downgrade » fonctionnel (moins de caractères pour plus de sons) mais un « upgrade » d’accessibilité, le rendant plus rapide et plus facile à graver sur différents supports pour une utilisation massive, correspondant à l’âge des Vikings. Cependant, l’adoption du Christianisme a introduit un système d’exploitation concurrent (l’alphabet latin) qui était le standard du reste de l’Europe, menant l’ancien système runique à être relégué à des applications locales, spécialisées, ou archaïques (runes médiévales et dalécarliennes).